Victor Hugo, « Ultima
Verba », Les Châtiments :
...
Quand même grandirait l'abjection publique
A ce
point d'adorer l'exécrable trompeur ;
Quand
même l'Angleterre et même l'Amérique
Diraient
à l'exilé : - Va-t'en ! nous avons peur !
Quand
même nous serions comme la feuille morte,
Quand,
pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand
le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte,
Aux
hommes déchiré comme un haillon aux clous ;
Quand
le désert, où Dieu contre l'homme proteste,
Bannirait
les bannis, chasserait les chassés ;
Quand
même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le
tombeau jetterait dehors les trépassés ;
Je ne
fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme,
le deuil au coeur, dédaignant le troupeau,
Je
vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie,
ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !
Mes
nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis,
la République est là qui nous unit.
J'attacherai
la gloire à tout ce qu'on insulte ;
Je
jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit!
Je
serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La
voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis
que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi,
je te montrerai, César, ton cabanon.
Devant
les trahisons et les têtes courbées,
Je
croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre
fidélité pour les choses tombées,
Sois
ma force et ma joie et mon pilier d'airain !
Si
l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils
ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il
en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je
serai celui-là !