Charles Péguy "Le Porche du Mystère de la
deuxième vertu", 1912 :
Ce qui
m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance
Et je n'en
reviens pas.
Cette petite
espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite
fille espérance.
Immortelle
Car mes trois
vertus dit Dieu,
Les trois vertus
mes créatures,
Mes filles, mes
enfants,
Sont elles-mêmes
comme mes autres créatures,
De la race des
hommes.
La Foi est une
Epouse fidèle,
La Charité est
une Mère,
Une mère
ardente, pleine de cœur,
Ou une sœur
aînée qui est comme une mère.
L'Espérance est
une petite fille de rien du tout,
Qui est venue au
monde le jour de Noël de l'année dernière,
Qui joue encore
avec le bonhomme Janvier
Avec ses petits
sapins en bois d'Allemagne. Peints.
Et avec sa
crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas,
Puisqu’elles
sont en bois.
C'est cette
petite fille pourtant qui traversera les mondes.
C'est cette
petite fille de rien du tout.
Elle seule,
portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
La petite
espérance s'avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend seulement pas
garde à elle.
Sur le chemin du
salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route
interminable, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance
S'avance.
Entre ses deux
grandes sœurs,
Celle qui est
mariée,
Et celle qui est
mère.
Et l'on n'a
d'attention, le peuple chrétien n'a d'attention que pour les deux grandes
sœurs,
La première et
la dernière,
Qui vont au plus
pressé,
Au temps
présent,
A l'instant
momentané qui passe.
Le peuple chrétien
ne voit que les deux grandes sœurs, n'a de regard que pour les deux grandes
sœurs.
Celle qui est à
droite et celle qui est à gauche.
Et il ne voit
quasiment pas celle qui est au milieu.
La petite, celle
qui va encore à l'école.
Et qui marche,
Perdue entre les
jupes de ses sœurs.
Et il croit
volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre les deux,
Pour lui faire
faire ce chemin raboteux du salut.
Les aveugles qui
ne voient pas au contraire,
Que c'est elle au
milieu qui entraîne ses deux grandes
sœurs.
Et que sans elle
elles ne seraient rien.
Que deux femmes
déjà âgées.
Deux femmes d'un
certain âge.
Fripées par la
vie.
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne
voit que ce qui est
Et elle voit ce
qui sera
La Charité
n'aime que ce qui est
Et elle aime qui
sera.
Merci à Brigitte pour cette contribution.